Alors que la France a connu un échec retentissant et inquiétant avec les déboires de Médiapro
dans le football, alors qu’une enquête parlementaire est actuellement menée, cherchant à faire la
lumière sur cet épisode, alors que les chiffres de streaming et de piratage explosent, tout le monde
se pose la question : une solution est-elle possible ?
Dans l’univers des droits sportifs, on a souvent tendance à considérer 3 acteurs, les diffuseurs, les
organisateurs et les consommateurs. L’objectif, pour chacun, est de maximiser son intérêt particulier.
En mettant en vente ces droits de diffusion, les organisateurs espèrent en tirer le prix le plus élevé
possible, en misant sur ces droits, les diffuseurs s’attendent à attirer le plus grand nombre de
téléspectateurs, et en payant l’abonnement, les consommateurs s’imaginent pouvoir bénéficier du
meilleur service possible.
Jusqu’ici, la rencontre de ces 3 acteurs, sur le marché, aboutissait à un équilibre de premier rang. Les
organisateurs vendaient et gagnaient des sous, les diffuseurs diffusaient et attiraient, et les
consommateurs regardaient. Lorsqu’on regarde le marché du football, par exemple, avec les droits
de la première division, la Ligue 1 Française, on a connu 20 ans de tranquillité où chacun bénéficiait
de cette physionomie et la maximisation des utilités était atteinte.
Seulement, à trop vouloir tirer sur la corde, on aboutit à un déséquilibre et à une chute de
l’optimum. En 2020, avec l’arrivée du diffuseur espagnol Médiapro, et sa chaîne Téléfoot, des
collisions ont eu lieu. Bien évidemment, en vendant les droits de diffusion de la Ligue 1 à 1,2 milliard
d’euros, les organisateurs, donc les clubs, ont pu maximiser leur utilité. Mais, en agissant seuls et
sans considération pour les autres participants du jeu, ces derniers ont durablement altéré
l’équilibre.
La chaîne Téléfoot, se retrouvant à payer des droits colossaux, n’a pas atteint un seuil de rentabilité
et, face à l’accumulation des pertes et des coûts, a dû fermer boutique moins de 6 mois après son
lancement. Quant aux consommateurs, ils ont subi l’inflation du ticket d’entrée, à travers la hausse
du prix des abonnements, et ont alors stoppé leurs achats et se sont tournés, en masse, vers le
streaming, le piratage et l’IPTV.
Conclusion : un marché autonome n’est pas capable de s’autoréguler, la somme des actions et des
intérêts particuliers, contrairement à ce que pouvait admettre l’économiste écossais du XVIII° Adam
Smith, n’aboutit pas à la maximisation de l’optimum social. Ce n’est pas parce que vous laissez les
acteurs cherchaient la maximisation de leur utilité que vous aboutirez à la maximisation de l’utilité
collective.
Ici, dans le cas du football français, quand les organisateurs veulent le plus possible, ils mettent à mal
le bien-être des diffuseurs et des consommateurs. Inversement, lorsque les consommateurs
demandent des abonnements moins chers et plus accessibles, ils conduisent à une déflation des
droits et donc à un manque à gagner pour les organisateurs. Dans tous les cas, le laisser-faire n’est
pas la solution.
En économie, ce cadre théorique de l’incapacité d’un optimum social par la somme des intérêts
individuels est expliqué à travers l’exemple du dilemme du prisonnier, appliqué en théorie des jeux
et formalisé par le prix Nobel d’économie John Nash. Supposez deux suspects arrêtés sur une scène
de crime et enfermés dans deux salles d’interrogatoire différentes. Leur intérêt, puisqu’ils sont
suspectés, est de ne pas parler, pour éviter la prison. Ils auraient même la possibilité d’accuser
l’autre, pour minimiser leurs peines.
Seulement, en ne raisonnant qu’à partir de son propre intérêt, sans penser à l’action et à l’intérêt
d’autrui, on entre en collision avec l’optimum collectif. Si les deux s’accusent mutuellement, les deux
sont donc avérés coupables et ils finissent tous les deux en prison. Le mieux serait donc que les deux
ne parlent pas comme ça, face au doute et à la présomption d’innocence, personne ne va en prison.
Or, pour que cela fonctionne, il faut que les deux se fassent confiance et collaborent, s’entendent.
Car, si l’un ne parle pas, en supposant l’optimisation de l’équilibre collectif, l’autre peut parfaitement
rompre cet équilibre et accuser l’autre. Résultat, l’un va en prison, celui qui n’a pas parlé, et l’autre
ressort libre, celui qui a dénoncé.
D’où l’importance, dans le champ des relations sociales, de la collaboration et de la confiance. Les
acteurs des droits TV feraient bien de s’en inspirer : discuter, collaborer, travailler conjointement et
rechercher, ensemble, un équilibre qui puisse satisfaire tout le monde.
Si l’on revient au cas du foot, il n’est pas normal que la LFP n’ait pas intégré, dans sa réflexion, les
intérêts des consommateurs, mais ait seulement réfléchi à son intérêt seul, vouloir atteindre le
milliard. Il n’est pas normal que les diffuseurs ne soient intégrés à la réflexion et à l’organisation. Le
travail devrait être fait en bonne intelligence et dans l’intérêt de tous.
Peut-être qu’à l’avenir, après l’épisode Médiapro, ce secteur va changer dans ce sens. On peut en
tout cas l’espérer.