Alors que le football français continue de souffrir de la crise pandémique, des confinements et des
huis-clos successifs, sans oublier la faillite de son diffuseur, Téléfoot – La chaîne, les dirigeants
pensent avoir trouvé la solution : la mise en place d’une société commerciale. Cela permettrait à la
Ligue de football de sortir de son statut juridique associatif ancestral et, surtout, de pouvoir dégager
des fonds non-négligeables via la vente de parts à des investisseurs extérieurs.
La société commerciale, qu’est-ce que c’est ?
L’idée est simple. Aujourd’hui, depuis 2020, les clubs français ont perdu entre 600 et 800 millions
d’euros, les droits TV ont chuté de quasiment 50%, passant de 1,15 milliard d’euros avec Médiapro, à
seulement 663 millions d’euros, avec l’américain Amazon. Il faut trouver de l’argent, et vite. Il en va
de la survie économique et sportive des compétitions. Selon le président de la LFP, Vincent Labrune,
« si rien n’est fait, la France risque de se retrouver au niveau du championnat Slovène ». Ce dernier a
donc activé, dès son élection, en août 2020, la création d’une société commerciale au sein de la Ligue
afin de substituer son système de fonctionnement archaïque en une véritable entité commerciale,
compétitive et capable de gérer des dossiers aussi complexes que les droits TV internationaux ou les
droits commerciaux et marketing de la Ligue 1.
De plus, en tant qu’entité commerciale, ses propriétaires, ici les clubs et la Fédération Française de
Football, ont le droit de céder, comme n’importe quelle entreprise, une partie de ses actifs à des
investisseurs tiers afin d’en tirer une plus-value. C’est exactement comme une société anonyme
partagée en plusieurs parts. L’actionnaire majoritaire ou le propriétaire historique peut parfaitement
décider de revendre 10, 20, 30, 40% de ses parts à des intéressés. Cela lui permettra de récupérer
une somme non-négligeable, favorable aux financement d’investissements ou à l’augmentation de
ses capitaux. Quant aux acheteurs des parts, cela leur assurera des prises de participation sur
l’entreprise, de toucher une partie des bénéfices, au prorata de leur part de participation, de
s’associer au conseil d’administration et aux prises de décision de l’entreprise, avec un droit de vote
proportionnel et, enfin, de pouvoir revendre ses parts si elles venaient à prendre de l’importance. Ce
qui peut être très intéressant dans l’avenir.
En économie, ce mécanisme s’appelle le financement externe direct, avec une forme de levée de
fonds sur les marchés financiers. Ici, plutôt que de vendre des actions, la LFP compte vendre des
parts cessibles afin d’en dégager une somme importante, qu’elle redistribuera aux clubs
professionnels.
Des tractations politiques en plus des rendez-vous économiques
Mais tout cela n’est pas aussi simple que ça en a l’air. D’abord, le statut juridique doit changer et,
pour cela, la loi doit évoluer. Alors que Vincent Labrune et ses collaborateurs au sein de la LFP ont
déjà accueilli et sélectionné un certain nombre de candidats, tous des fonds d’investissements anglo-
saxons, un projet de loi est en cours de discussion au Parlement. L’Assemblée nationale est déjà allée
dans ce sens mais a plafonné les parts cessibles à 20%. Autrement dit, la Ligue, les clubs et la
Fédération Française de Football conserveront toujours, quoi qu’il arrive, 80% des parts de la société
commerciale.
Ensuite, les députés se sont octroyés un droit de regard dans la sélection des candidats investisseurs
repreneurs. Ils ne souhaitent pas ici faire rentrer dans le football français de potentiels acteurs
dangereux, non-solvables ou intéressés seulement par l’intérêt pécunier avant l’intérêt sportif. Dans
un amendement du projet de loi, il est ainsi précisé que, par décret, les députés pourront exclure des
personnes particulières parmi les candidats et les partenaires de la société commerciale.
Mais au final, l’Assemblée a voté à la majorité ce projet et tendu la main à la création d’une société
commerciale. Dans le même temps, la ligue a donc continué à prospecter et à étudier les dossiers de
candidature des fonds d’investissement, désireux de mettre un pied dans le football français. Selon
différentes sources, la LFP espère dégager jusqu’à 1,5 milliard d’euros à travers la cession de plus de
10% des parts de l’entité commerciale. Autant d’argent qui viendra abonder les caisses fragiles des
clubs et leur permettra de se développer et de s’armer face à la concurrence européenne. Vu le prix,
cela apparait être une aubaine. En Espagne ou en Italie, ces parts se négocient plutôt autours des 2
milliards d’euros. Avec un prix d’entrée plus faible mais une perspective de croissance plus
importante, le coup pourrait être intéressant et les fonds s’attendraient à créer un effet de levier :
investir relativement peu, toute proportion gardée, et revendre dans 5 ou 10 ans avec une plus-value
importante.
Néanmoins, bien qu’en janvier 2022, la Ligue a sélectionné 4 finalistes, les fonds CVC, Oaktree, Silver
Lake et Hellman & Friedman, tous prêts à investir 1,5 milliard d’euros pour 12% des parts, soit un
foot français estimé à 12,5 milliards d’euros, le Sénat, où le projet de loi vient passer en seconde
lecture, souhaite modifier le protocole.
Tout d’abord, conscient des risques de laisser les bijoux de famille à des investisseurs étrangers, les
sénateurs aimeraient réduire les parts cessibles de 20, comme cela avait été acté par l’Assemblée
nationale, à 10%. Ce qui ne permettrait pas de dégager les 1,5 milliard d’euros espérés puisque cela
représentait une somme pour 12,5% des parts. Ensuite, afin d’éviter un nouveau risque Médiapro,
choisir un acteur non-solvable aveuglement et inconsciemment, les sénateurs voudraient donner un
droit de véto sur toutes les décisions prises par le conseil d’administration de l’entité commerciale à
la FFF.
De quoi remettre à plat les négociations et les discussions. Il n’est pas certain que ces décisions
intéressent les fonds potentiels. On va voir ce qu’il va se passer mais tout devrait se décanter dans les
prochaines semaines avec les ratifications par l’Assemblée nationale et les décisions de la LFP.